One prey, two wolves, oh dear [Ramsey]

La traque, ce qu’elle fait de mieux, en temps normal. Malheureusement, elle reste sur des terres inconnues, ce qui la déroute d’avantage. La louve est sur ses gardes, à chaque instant un danger peut apparaître, elle en a bien conscience. D’autres loups errent sur les terres qu’elle a rejoint, au-delà des montagnes. Pas de meutes, aucune même. Et pourtant la louve a cherché à en trouver, se sentant bien trop seule, bien trop vulnérable. Ses pattes l’ont aujourd’hui mené au vaste territoire se présentant devant elle. Les montagnes qu’elle apperçoit, elle ne les escalade pas. Ni pour se nourrir, ni pour s’abriter. Elle sait que trop bien les dangers que cela représente, si jamais un individu mal attentionné devait s’en prendre à elle. Et une chute est si vite arrivée.

Ses pattes foulent rapidement le sol dès qu’elle repère l’odeur d’une proie. Il s’agit d’une biche et de son faon, mais Pyralis sait que la mère s’est sans doute éloignée de son petit pour partir se nourrir. L’avantage des faons, c’est que quand ils sont jeunes ils restent caché. Malheureusement, c’est aussi le grand défaut, ils sont souvent très bien caché. Mais la louve est patiente et cherche sa proie, inlassablement, sa truffe longeant le sol pour ne pas rater la moindre piste.

Concentrée, trop, elle ne repère pas la silhouette d’un autre canidé dans les hautes herbes. Pas avant qu’un son ne l’interpelle, par simple reflexe, elle se fait plus petite, avant de regarder rapidement autour d’elle. Un autre loup, cherchant vraisemblablement la même proie. Voilà que son repas se voit peut-être s’envoler, car elle n’aime guerre affronter les autres pour quoique ce soit. Mais, c’est le premier loup qu’elle voit depuis très, très longtemps. Alors son regard ambré croise le regard de l’inconnu, qui a de magnifiques iris bleus. Elle penche légèrement la tête sur le côté, cherchant à d’abord connaître les intentions du mâle, à cette distance, elle peut encore fuir ce dernier s’il est trop affamé et qu’il pense perdre sa proie à une quelconque forme de rivalité.

« La chance c'est ce que l'on ne mérite pas. »

Qu'est-ce que l'on peut appeler chance ? Est-ce que le fait d'être encore de ce monde en est une preuve ? Est-ce une réponse à cette « chance » à laquelle bon nombre fait référence ? Est-ce qu'avoir de la chance, c'est se sentir vivant ? Est-ce que pouvoir continuer de mettre une patte devant l'autre c'est une chance ? N'est-ce pas plutôt une épreuve de plus que la vie vous assène ? Question de point de vue certainement. Triste question de point de vu... Certains vous diront avoir la chance avec eux. D'autres attirés tous les malheurs sur leurs os. Ramsey ? Vous ne l'entendrez pas se plaindre. Même ses rares amis ne l'ont jamais entendu être ainsi. À vrai dire, les seules fois où il avait piaillé dans sa vie, il se souvenait ô combien cela fâchait davantage les loups qui l'entourait. Il se souvenait ô combien les couinements et autres tentatives vaines de montrer une quelconque faiblesse d'esprit ou de corps, s'étaient soldé par de belles corrections dignes des pires crimes. Combien de fois avait-il été humilié en place publique ? Combien de fois avait-il été la risée de tous les autres ? Combien de fois avait-il dû ramper pour se voir éteindre la pluie de coups qui s'abattaient sur son museau ? Pourtant, il n'en gardait qu'un souvenir amer et âpre. Une certaine rancœur existait et existerait probablement toujours envers ceux lui ayant fait subir ses traitements, mais fataliste, il s'était fait une raison. Si les choses avaient été ainsi, alors c'est qu'elles devaient l'être. C'est que pour devenir ce qu'il était aujourd'hui, il avait dû passer par-là. On ne pouvait dissocier l'un de l'autre. Est-ce qu'il était fier de ce qu'il était à présent ? Est-ce qu'il se trouvait un loup accompli et bon ? Accompli peut-être. Bon, loin de là. Il était ce que le monde avait fait de lui. Comment s'en sortir indemne quand on grandit dans la peur, la violence, le sang et tout un tas de principe noir et moins noir. Oh, il aurait dû au moins apprendre ce que signifiaient d'autres termes. Famille, loyauté, courage – ou à défaut témérité – respect de la hiérarchie, règles de vie commune. Il en avait retenu certaine, avait piétiné le reste en gagnant sa liberté. Il n'avait que faire des usses et coutumes des autres. Il avait que faire de vivre au crochet des autres. La vraie vie, sa vraie vie, il l'avait gagné en quittant ce fardeau qui avait été son passé, sa famille et sa vie jusqu'à présent.

Assoupi depuis un moment, alors que le soleil était à son zénith, le loup blanc cassé ouvrit l'une après l'autre ses paupières. Tentant d'y voir un peu clair dans le monde qui l'entourait, le loup ne mit guère longtemps avant de retrouver tout son esprit. Chassant d'un grognement les idées de son passé qui lui montait à la tête, il se décida bien vite à se trouver une occupation. S'il n'avait pas idée de quoi faire pour se rendre utile à lui-même, son estomac ne tarda pas à lui faire savoir la marche à suivre. Chassé, il savait faire. Il avait en parti appris dans son ancienne vie, mais s'était beaucoup amélioré en gagnant la nouvelle. Lorsqu'il rentrait bredouille, il pouvait auparavant compter sur la compétence et l'agilité des autres, il était certain, ou presque, de trouver de quoi manger ou au pire des restes à grappiller par-ci, par-là. Dorénavant, s'il n'attrapait rien, les glapissements de son ventre n'étaient pas contentés et continuaient de chanter un long moment avant de se taire, las de s’apitoyer sur leur misérable sort. S'il avait eu du mal à trouver les bonnes méthodes et les bonnes astuces pour la traque en solitaire, il avait fini par se rôder et comme tous les autres loups solitaires, il avait pris le pli et réussissait sans peine à attraper des proies simples. Se levant après avoir étiré ses membres, le loup tenta de faire taire les gémissements puérils de son estomac trop gâté avant de se mettre en tête de vraiment partir chasser. Laissant échapper un bâillement bruyant alors qu'il se mettait doucement en route, il commença par prendre un rythme de croisière, marche lente et laborieuse, avant de trottiner un peu plus légèrement une fois ses muscles échauffés. Son errance avait fini par l'emmener vers les Terres Alpines. Fini, il ne montrait pas plus au Nord. D'ailleurs, lorsqu'il avait aperçu étêté les montagnes que trop bien dessinées sur la ligne d'horizon, il s'était convaincu qu'il avait perdues les pédales. Certes l'hiver n'était pas encore, mais plus il se rapprochait de ces pics et plus le froid gagnait en puissance, même durant la belle saison. Le museau en l'air, le loup se concéda enfin à chercher une proie. Son estomac ayant fait violence pour lui offrir un moment de silence, il comptait bien en profiter. Repérant vite une piste alléchante d'un jeune cervidé, le mâle remonta le délicat fumet, comme un traqueur né. Silencieuses, ses pattes glissaient sur le sol, l'effleurant à peine. Il capte bien vite qu'il n'était pas le seul sur cette piste. Néanmoins, ne craignant pas l'adversité, il ne changea pas de cap. Lorsqu'il la vit se matérialiser sous la forme d'une petite louve tricolore, il ne lui accorda qu'un vague sourire purement hypocrite et pourtant tant crédible aux yeux de tous. Voilà qui allait être risible. Un peu de piment. Un peu de chance ?