Le nid des beaux souvenirs. (Ramsey)

« Ne te retourne pas, tu as déjà fait ton choix. »

Ramsey trottinait en proie à des pensées qui n'avaient que trop rien de glorieuses. Pourquoi est-ce qu'il fallait que ce soient toujours ces mêmes songes remplies de noirceurs qui lui reviennent ? Pourquoi fallait-il que ce soit toujours cette partie de son existence qui remonte à la surface, tentant de le rattraper comme si elle n'était en fait que les fantômes de Balkir et Nash... Balkir... Nash... Il pouvait bien les blâmer... Pourtant, un sentiment étrange le rattachait pourtant à ces loups... Pourquoi est-ce qu'ils avaient eu pitié ? Pourquoi Balkir lui avait laissé la vie sauve ce jour-là ? Il aurait été tellement plus simple de le laisser s'envoler avec les autres... Il aurait été tellement plus apaisant pour lui de les retrouver je ne sais où, dans cet autre monde qu'on pouvait s'imaginer un peu meilleur, paisible et apaisée de ne plus avoir ce poids sur les épaules. Mais il n'en était rien... Il avait décidé de le maintenir en vie. Il avait décidé de l'élever à ses côtés... Ou plutôt, il avait décidé de l'ajouter à ses rangs, dès fois qu'il s’avérerait finalement bien utile... S'il jurait souvent par son jugement et sa jugeote, les faisant craindre comme une loi divine, il s'était bien planté sur ce coup. Ram n'avait jamais été le bon pari à prendre. Il l'avait pourtant pris et s'en était mordu les pattes. Il avait pourtant longtemps tenté de l'endurcir comme il disait. Il avait longuement tenté vainement de lui faire entendre raison par la violence qu'il aimait tant... Et si ce n'était pas spécialement par un côté revêche de son esprit, c'était bien souvent le physique du loup blanc cassé qui l'avait rattrapé. Plus grand que la plupart, plus léger, plus agile certainement, mais aussi plus fragile, plus fluet et plus susceptible d'être envoyé au tapis par plus fort... Et peut-être qu'il était bel et bien aussi trop lâche pour suivre leurs traces... Trop lâche pour porter le premier coup... Trop lâche pour froidement s'en prendre aux malheureux sur lesquels Balkir avait jeté son dévolu, pour annexer un lopin de terre et ô combien tenter de démontrer sa puissance. À qui pouvait-il bien monter sa supériorité s'il ne laissait aucun survivant ?

Soupirant, le solitaire qui refaisait cap vers l'Est, sortait de quelques minutes à peine de son sommeil. Ce qui pouvait sembler paradoxal étant donné l'avancée de la journée, était devenu le train-train quotidien de ce loup-là. Rendu quelque peu phobique de la nuit par son passé, il préférait grandement garder l’œil ouvert et les sens aux aguets lorsque le soleil n'éclairait plus son chemin. Et si ce rythme décalé ne pouvait pas plaire à tout le monde, en tant que solitaire, il se plaisait à songer qu'il n'avait plus de compte à rendre à personne. Il avait gagné cette liberté-là, comme bien d'autres d'ailleurs. Le rythme de ses pas devint de plus en plus réguliers, calant son allure sur un je ne sais quoi, se modérant entre la marche et la course, il n'avait aucun mal à dissimuler suffisamment sa présence pour ne pas être entendu à des mètres autour. Aucune émotion ne perçait sur son visage désespérément rendu neutre par l'isolement. Le vent le poussait dans le dos, l'aidant à avancer, mais ne masquant en rien sa progression à ceux qui se trouvaient en amont. Qu'importe. Le clapotis de l'eau l'accompagnait dans sa course, longeant de quelques mètres la rivière qui coulait depuis les terres Alpines. Bientôt, il ne s'aventurerait plus si haut. Lorsque la saison froide ferait son retour, il se cantonnerait à aller toujours plus vers le Sud, en quête d'une certaine chaleur et fuyant les rhumatismes qu'il gagnait avec le froid humide. À travers les pins et leurs mille et unes aiguilles, en relevant le museau, Ramsey pu s'apercevoir que l'après-midi était bel et bien entamée. Bientôt, il ne tarderait pas à piétiner de nouveau cet endroit où des loups tentent de se rassembler en groupe, en meute. Il avait croisé l'un d'entre eux la dernière fois qu'il s'était trop approché de ce cours d'eau et de ces terres. En fouillant un peu dans son esprit en vrac, il trouva le nom de celui qu'il avait croisé à quelques kilomètres de là : Kiam. Est-ce qu'il retomberait sur ce loup ? Si le destin le voulait, peut-être, autrement, il se contenterait d'errer seul comme il s'était si bien habitué à le faire. Bientôt, le coude du ruisseau le rapprocha sans qu'il n'en fasse rien, de ce dernier. Il se retrouva à s'avancer presque en lisière de cette épaisse forêt d'épineux, entre leur couvert et le glapissement de l'eau.