Aux portes d'un avenir [PV Ramsey]

« Un esprit libre prend des libertés même à l'égard de la liberté. »

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel quand Ramsey quitta les bras de Morphée. Sortant d'un sommeil léger, mais somme toutes réparateur, il lui sembla avoir dormir de tout son soûl alors que cela ne faisait en tout et pour tout que quelques heures. Oiseau de nuit à ses heures perdues, il avait longuement erré la nuit, s'accordant une marche plus lente et plus bruyante qu'elle ne l'était la journée. Lorsque le soleil n'éclairait plus son chemin, il prenait son temps pour choisir l'endroit où poser ses pattes, il prenait également la peine de humer les effluves nocturnes, de chercher à les identifier avec plus ou moins d'exactitude et de détails, il appréciait davantage le silence qui découlait de ces heures sombres. L'observation prenait une part importante dans ce monde de ténèbres, ses yeux céruléens s'accrochaient à tous les détails qu'il pouvait distinguer, si bien qu'il ne perdait que rarement une miette des scènes nocturnes. Noctambule ? Peut-être. La seule chose qu'il pouvait affirmer avec plus ou moins de vergogne, c'est qu'il préférait amplement être éveillé durant ces moments-là. Son passé le tenait en haleine, repoussant tout sentiment de fatigue et toute envie de trouver le sommeil lorsque le soleil disparaissait. Et s'il avait longtemps été forcé de subir le rythme normal de vie qu'une meute impose, et de tout être vivant diurne, il avait pris un rythme plus décalé depuis qu'il avait gagné sa liberté. Depuis qu'il ne devait des comptes plus qu'à lui-même, il choisissait pour lui ces moments où il s'accordait des pauses, ces moments où il avait envie ou ressentait le besoin de dormir, les moments où il avait envie ou besoin de chasser etc. S'il n'avait plus la couverture protectrice et l'assurance d'avoir toujours l'estomac plein, il préférait nettement avoir l'esprit libre et être en parfaite adéquation avec les principes qu'il s'était abrogés. Entrouvrant doucement ses paupières, le loup blanc cassé étira une à une chacune de ses longues pattes avant d'esquisser le moindre mouvement superflu. S'allongeant pour étirer toute sa colonne, il ne s'arrêta que lorsque le craquement de ses vertèbres annonça leur remise en bonne place. Un bâillement agita sa mâchoire endolorie par l'inactivité et le contact avec le sol dur, il dut, par ailleurs, la faire s'agiter un peu plus que de coutume et faire mine de déglutir une bonne demie-douzaine de fois avant de retrouver un peu de sensibilité à ce niveau-là. Ce n'est, finalement, qu'après ce cinéma que le loup prit réellement la peine de se reconnecter avec le monde qui l'entourait. Lançant un regard circulaire tout autour de lui comme pour se rendre bien compte de l'endroit où il était, se remémorant par la même occasion sa marche nocturne vers le Nord-Est. Qu'est-ce qui lui passait par la tête à ainsi remonter les terres ? Pourquoi se diriger vers ce froid qui fait cruellement souffrir son faible corps ? Parfois, il n'y a tout bonnement pas de raison valable ou réfléchie. Parfois, les choses se font parce qu'elles se font et c'est tout.

Il n'y a probablement aucune raison logique non plus, au fait qu'il ai trouvé le couvert de ces arbres pour faire son bout de route. Les pins étendaient leurs grandes branches couvertes d'épines d'un vert vif juste au-dessus du crâne du canidé, comme une araignée allongerait ses longues et faméliques pattes pour construire sa toile. Est-ce qu'il aimait ce sentiment d'avoir un « toit » sur la tête ? Pas spécialement. Il n'en était pour autant pas phobique. Les arbres réduisaient l'étendue de son champ de vision, mais lorsqu'on est un de ses seuls prédateurs de l'endroit, de qui aurait-on besoin de se cacher ? Quelle présence subtile parviendrait à voir sans se faire voir dans un tel environnement ? Un congénère ? Ramsey savait parfaitement jouer des mots pour se sortir sans blessure de la plupart des rencontres avec ces derniers. Il suffisait généralement de les baratiner grossièrement et tout se passait au mieux. Plus le mensonge était gros, plus il semblait passer avec ces autres loups qu'il pigeonnait sans vergogne. Est-ce qu'il n'avait pas d'honneur pour agir ainsi ? Il ne parlait pas en ces termes. L'Honneur, il savait en avoir pour ceux qui en valaient réellement la chandelle. Chose certaine, la pitié ne faisait pas parti de ses attributions. Du moins pas au titre que beaucoup allouait à ce sentiment. Il avait appris dans sa vie que ceux qui lui ressemblaient, ne lui apportaient que trop rarement des bonnes nouvelles et des bonnes augures. Autant ne pas s'attacher. Autant savoir se défaire aussi facilement des liens qu'on les as liés avec les autres. Non ? Lui était de cet avis et il défiait quiconque de tenter de le faire changer d'idée. Au bout de quelques longues secondes d'attente, Ramsey se releva finalement avec une grâce presque féminine, de longues minutes d'éveil maintenant derrière lui, gagnant ainsi toute sa hauteur sur ses échasses fluettes. S'il avait pris son temps auparavant, l'idée de reprendre son chemin le fit accélérer le pas et une seconde après tout au plus, une marche fluide et modérée avait été installée. Il n'hésita pas un instant sur la direction à prendre, n'écoutant que son instinct pour se diriger en terres inconnues. Pouvait-il simplement faire mine de connaître ces lieux alors qu'il y mettait les pattes pour la première fois ? Pouvait-il trouver un quelconque sens à imaginer un itinéraire alors qu'il ne connaissait même pas la topographie de cette forêt ? Il n'avait pas cette prétention idiote que de faire celui qui sait. Du moins, pas pour lui-même. Une mine profondément neutre sur le faciès, le loup progressa sans trop de difficulté. Les troncs se succédèrent avec une étrange sensation de vide, alors que les odeurs ne manquaient pas de chatouiller ses narines. S'il ne s'attarda pas sur leur nature bien longtemps pour en capter la provenance, il découvrit rapidement que cet endroit était sans cesse piétiné et re piétiné par les quelques mêmes individus. Des odeurs un peu plus anciennes faisaient également acte de présence, mais les répétitions qu'il capta au fil de son déplacement ne pouvaient être dues qu'au hasard. Pourquoi fallait-il qu'il tombe sur des terres convoitées par un pseudo-rassemblement de loups ?