Chant d'Espoir [Libre]

Quel endroit formidable, presque aussi magnifique que l’océan de son enfance ! Kiam se laissait porter au gré d’un faible courant jusqu’à cette presqu’île qu’il venait de repérer. Aucun doute, c’était elle. L’ilot des légendes de ses ancêtres, le siège d’une des grandes meutes de ces terres, et certainement le meilleur endroit pour en former une nouvelle. Qu’il avait hâte d’en parler à sa sœur ! Ce soir, pour la énième et peut-être dernière fois, ils changeraient de tanière pour venir s’installer ici. Du moins, s’il n’y décelait aucun danger. Qui sait quelles créatures avaient pu s’approprier les lieux depuis le départ des meutes ?

Les remous de l’eau laissèrent un sillon sur son passage tandis que Kiam se décidait enfin à achever sa traversée. Ses pattes battaient sous la surface d’un rythme léger, naturel. Il n’était pas pressé de rejoindre la terre ferme et préférait profiter encore un temps de cette tranquillité. Cependant, alors qu’il tournait la tête en direction de l’autre berge, amusé du trajet qu’il venait de franchir, un hurlement lupin brisa le calme des lieux.

Le cœur du mâle fit un bond dans sa poitrine. Korali ? Était-elle en danger ? Non, la femelle avait un timbre bien différent. Celui-ci était beaucoup plus masculin, et surtout, empreint d’une mélancholie déchirante.
Le battement de ses pattes s’accéléra d’un coup, jusqu’à se transformer en une course effrénée à la sortie du lac. Le chant résonnait encore, et Kiam s’élançait à sa poursuite dans l’espoir d’en trouver l’origine. Était-ce un appel ? Un rassemblement ? Diverses fantaisies se succédèrent dans son esprit : il entrevit entre autres le chef d’une meute, perché sur un rocher, réclamant les siens de son timbre majestueux. Et s’ils étaient plusieurs ? Et si, et si…

Il s’arrêta après une vingtaine de mètres, rattrapé par la réalité : aucun autre hurlement ne faisait écho au premier. Craignant que l’autre ne cesse devant le silence, Kiam jugea préférable d’annoncer son arrivée. Alors il ralentit, leva sa gueule vers les cieux, et hurla à son tour. Un cri fort, sûr de lui mais plutôt bref, simple réponse avant de reprendre sa course.
Enfin, après la minute la plus longue de son existence, l’odeur de celui qu’il cherchait lui parvint. Kiam vira d’un seul coup, pistant l’étranger sans grande difficulté avant d’enfin débarquer devant le principal concerné.

Un loup ! Imposant, noir et trapu. Kiam avait rejoint les hauteurs de la presqu’île sans même réfléchir au danger, bien trop excité à l’idée de rencontrer l’un des siens en ces lieux. Si ça se trouve, ce type et le reste de sa meute allaient le mettre en pièce ! Enfin, sa meute ? Kiam balaya l’endroit des yeux, l’air un peu abasourdi par sa découverte du jour. Le nageur ruisselait encore de la queue au museau, il n’avait même pas pris le temps de s’ébrouer.
Finalement, un sentiment mitigé l’envahissait. Il était à la fois soulagé d’avoir trouvé quelqu’un, et d’un autre côté, tant d’espoirs vains s’étaient éveillés durant cette courte minute de course qu’il ne savait s’en satisfaire. Au final, la seule phrase qui lui vint fut :

— Tu es seul ?

Eh bien, quel phénomène ! Kiam huma son flanc droit, amusé. Il avait à peine eu le temps de réagir que déjà, Jadis avait disparu. Un sourire bête étira ses babines tandis qu’il pensait à l’avenir, l’imaginant enfin rayonnant.  
Il mit une bonne minute avant de réaliser qu’il n’avait plus rien à faire là. Jadis était parti, et à son tour, il fallait qu’il parte rejoindre sa sœur pour lui annoncer la bonne nouvelle, comme le sombre l’avait dit. L’idée de piquer une tête pour se changer les idées après tout ça lui traversa l’esprit. Heureusement, il se rappela aussitôt de l’odeur qu’il devait transmettre et se ravisa. Le pauvre était encore tout chamboulé de l’énergie dont faisait preuve son camarade, comme il pouvait désormais l’appeler.

Camarade… Kiam jeta un regard rêveur en direction du soleil resplendissant du jour. C’était un bon mot. D’ailleurs… Instinct et concession ? C’était plutôt bien résumé. Jadis avait su dire en deux mots ce qu’il avait eu tant d’hésitation à exprimer en quelques phrases. Décidemment, ce guerrier énergique ne manquait pas de qualité.

L’odeur de Jadis flotterait dans les airs, désormais, aux côtés de celles de sa sœur et lui, jusqu’à ce qu’elles n’en forment plus qu’une. L’odeur d’une meute unie.
Dire qu’il allait s’éloigner de tout cela pendant plusieurs jours. Mais c’était un mal pour un bien, et pour une fois, il quitterait sa sœur davantage rassuré, sachant Jadis à ses côtés. Peut-être même finiront-ils par s’enticher l’un de l’autre ? Haha… Kiam souhaitait bon courage au noiraud s’il avait la moindre idée derrière la tête, Korali était bien plus caractérielle que lui.

— Jadis… murmura-t-il à lui-même. Je compte sur toi.

Ainsi s’achevaient une première étape de leur histoire. Il leur était maintenant impossible de revenir en arrière. Cette meute idyllique devait devenir réalité.

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