Physique Elle a la noirceur sur le dos mais pas dans le cœur. Des poils couleur de pénombre, une pelisse qui rappelle les nuances paumées dans la nuit ; il y a les ombres floues, puis le blanc des minuscules diamants appelés « étoiles » ; on a égrené l’opale sur son cou, sa gueule, sa queue, son dos — là où l’obscurité a cédé la place, là où elle a donné un peu de liberté. Elle a la noirceur sur le dos et les moyens de détruire. On lui a donné les muscles nécessaires, la force dangereuse quand mal maniée, les crocs blêmes qui peuvent servir les pires desseins ; mais, chez elle, ces choses-là ressemblent à des accessoires. Elle est trop douce. Trop clémente. Elle paraît gigantesque sur ses longues pattes. Sa fourrure dense impressionne alors que son corps est — en réalité — plutôt taillé pour la vitesse. Tout n’est finalement qu’une histoire de sensations. Tout n’est qu’un mensonge. Il n’y a que ses yeux, paumés entre bronze, ocre et or qui ne lâchent jamais des bobards. Ils en sont incapables. Ils vivent, s’embrasent, s’amusent. Ils brillent comme des joyaux, rappelant que ce qui est au milieu de la noirceur peut être de la lumière. | Caractère N’essaie pas.
Ouais, n’y pense pas.
Personne ne peut la retenir.Elle, c’est quelque chose qui nous évoque la bise fraîche à la moitié du printemps. Elle, c’est la pluie qui cascade en minuscules rigoles qui s’évanouissent sitôt le crachin arrêté ; elle disparaît, inconstante. Elle, c’est l’éphémère. Elle, c’est celle qui devient le fantôme dans nos cœurs, qui demeure dans nos vagues souvenirs — elle, c’est celle qui nous apparaît souvent en rêve avec ses yeux nébuleux et sa peur du temps. Elle, c’est la voix sage qui nous bouscule quand on joue les caïds. Elle, c’est le sourire qui nous accueille et qui, à force d’être aperçu, nous encourage à ne plus papillonner. Elle, c’est celle qu’on voudrait s’accaparer. Parce que c’est ce que la nature a conçu de plus pur.De plus doux. De plus réconfortant. Elle, c’est la « vilaine créature » qui paraît menaçante d’abord à cause de ses airs distants. Elle, c’est celle que l’on pense hautaine avant de découvrir à quel point son cœur est grand. Et, au final, on prend son amour pour argent comptant. Elle nous prend avec nos failles, nos défauts, nos sales manies. Jusqu'au jour où on devient un obstacle. |
Histoire
Elle a son nom sur le bout des lèvres : celui de sa mère. Mais c’est loin. C’est si loin. Elle ne se rappelle plus vraiment de ses courbes ou de ses angles. Elle pense la dessiner dans la neige, souvent, avant de réaliser que la « maman » ébauchée la veille ne ressemble pas à celle du jour-même.
Elle est loin. Elle est si loin.
Menhit a zappé. Elle a laissé ses souvenirs s’étioler avec les années sans se douter qu’ils seraient si durs à récupérer après. « Si j’avais su » sont ses mots préférés. « Si j’avais su que je la perdrais, je me serais montrée plus démonstrative » ; « Si j’avais su qu’on nous séparerait, je me serais accrochée plus fort » ; « Si j’avais vu, je ne l’aurais jamais lâchée des yeux » ; que de remords, que de remords.
Le soir, sous la lune, Menhit se surprend à y penser. À réfléchir, à se concentrer. Elle cherche à rassembler les morceaux cassés pour reconstituer le portrait idéalisé. Elle est blanche. C’est sa seule certitude au milieu des doutes. Elle est blanche comme la neige — elle est similaire aux chimères esquissées par le vent dans les tempêtes, à la mauvaise saison.
La mauvaise saison, celle où elle a disparu.Menhit avait un mois à l’époque. Ses sens se développaient doucement, ses petites pattes commençaient à la porter entre deux tétées. L’eau se fracassait depuis des jours, gorgeant les sols jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus rien avaler ; ils avaient recraché les litres de flotte, laissant les rigoles appelées « rivières » déborder peu à peu.
Menhit l’avait regardé monter doucement. Elle était entrée dans la tanière, avait glissé sous son ventre. Elle appelait « Maman » avec son jumeau. Ils criaient. Ils pleuraient. Elle pouvait entendre les mêmes plaintes s’élever des autres tanières.
Mais les « grands » avaient tardé. Ils chassaient pour subvenir aux besoins de la meute nouvellement agrandie. « Maman » n’était pas venue la récupérer. Ni elle, ni son frère. Ils avaient eu un éclair de lucidité : sortir pour survivre. Le niveau était encore assez bas pour qu’ils puissent marcher sous les pleurs du ciel.
Ils s’étaient hissés sur un gros arbre couché que la pluie ne semblait pas réussir à noyer. Puis, ils avaient regardé les ombres bouger.
Une louve un peu plus âgée que leur mère avait crevé le rideau aqueux pour les rejoindre. Elle avait des bébés, elle aussi. Elle avait chopé Menhit dans la gueule avant de s’engouffrer dans le manteau dégingandé formé par la végétation déshabillée. L’hiver avait volé les feuilles aux arbres, révélant au passage les épines sur les buissons.
Kushin avait couru longtemps. Elle posait souvent Menhit à cause de son poids — surtout, Kushin disait de « Maman » qu’elle avait été emportée par le lit de la rivière durant la chasse. « Maman » avait rejoint un monde meilleur.
Menhit n’avait pas l’âge suffisant pour comprendre ce que ces mots-là voulaient dire. Elle demandait « Maman » en permanence. Elle piquait du nez souvent. Elle tétait aux mamelles de Kushin quand la faim se faisait sentir avec trop de méchanceté. Au final, Kushin avait arrêté sa débandade quand les odeurs familières avaient disparues.
Menhit avait appelé « Maman » encore ; Kushin avait usé de paroles trop complexes avant de conclure que « Maman » était une sans-souffle, comme les proies. Menhit avait cherché son jumeau pour la première fois ; Kushin avait expliqué qu’il était auprès d’un autre membre de la meute.
Menhit avait interrogé au sujet des propres enfants de la louve ; Kushin avait annoncé que l’eau les avait charrié avant son arrivée. Eux aussi avaient eu accès au « meilleur des mondes ».
Il n’y avait plus que Menhit accrochée à Kushin.Du moins, selon les dires de la plus âgée. Elles devaient rester « soudées ». Kushin avait, dès lors, endossé le rôle de mère. Elle avait nourri, logé, « aimé » Menhit avec l’énergie du désespoir sans jamais lui fournir l’ébauche d’une vérité.
Elle lui avait enseigné la chasse en s’éloignant davantage de leur ancien refuge. Chaque jour, chaque jour. Elles marchaient sans arrêt. Elles fuyaient, semble-t-il, les secrets abandonnés sur place.
Les pluies ont coulé sous les ponts, depuis. Kushin a rendu son dernier soupir à cause d’une maladie au début de l’été.
Démarre la longue errance en solitaire.
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Sujet: « je » est un autre — terminée 
Lun 8 Juil - 12:36
