L'humidité boréale (Libre)

C'était en milieu de journée, entre deux averses. Voilà maintenant une semaine que le ciel était sombre, voilé par d'épais et menaçants nuages. En cinq ans de vie sur ces terres, Peyredragon avait rarement vu des températures aussi hautes, l'orage qui nargait la biodiversité se faisait attendre et savait comment se faire espérer. Les pluies passagères étaient la bienvenue, mais elles ne parvenaient pas à faire chuter d'à peine un degré la vague d'air chaud qui s'était installé sur le territoire boréal. Le tricolore avait même pensé, vers le milieu de la semaine, à remonter un peu plus au nord, vers les Alpes, jusqu'à ce que le temps retombe dans les normales de saison. Il s'était finalement résilié à cette idée, se disant que les températures auraient le temps de s'amenuir avant même qu'il n'atteigne les montagnes. Hors il s'était visiblement trompé.

Il espérait fermement que cette vague de chaleur disparaisse aussi vite qu'elle était apparue. En temps normal, la température était fraîche et sec en territoire boréal, et ce climat était nettement plus apprécié de la part de l'animal que tous les autres biomes de Terra, quel qu'il soit.

Son pelage, même s'il était cours, était bien isolant, et offrait une bonne protection contre le froid, mais l'inverse n'était pas réciproque. Il était gorgé d'humidité jusqu'à la chair, mais l'apparence du mâle lui était égale. Il vacillait entre les pins. Ce territoire, Peyre le connaissait depuis toujours, et aucun de ses secrets ne lui étaient inconnus. Il poursuivit son chemin en direction de la rivière, alimentée par le lac.

Après s'être désaltéré un bon moment, le tricolore traversa la rivière à la nage, pour ensuite prendre la direction du lac, longeant les rives de l'eau trouble. Il détourna sa route le long d'un ruisseau qui se détachait de la principale. Après quelques minutes de marche nonchalante, au loin, une silhouette se décrocha du décor. Un loup sombre de jais, marbré de terre et de boue.

Peyre s'approcha, restant sur ses gardes et prenant soin d'entretenir une bonne distance entre les deux mâles. L'animal avait du cœur au travail. Mais au travail de quoi, exactement ?

-" Creuseriez-vous votre tombe, mon cher ami ? Vous savez, si c'est à cause de la chaleur, elle finira bien par partir...

Évidemment, Peyredragon n'étais pas sérieux dans ses propos. Il cru cependant cette approche plutôt bonne pour engager la conversation... Il y avait des lustres que Peyre n'avait pas vu de compagnons de son espèce. Depuis la dispersion des membres de sa meute, en fait. Suite à son départ, il avait fait un détour vers les terres tempérées, espérant y trouver son frère, mais ce territoire était sans vie, sans prédateur... Même la meute qui occupait jadis les souterrains avait disparue.

Peyredragon resta droit, faisant face à l'animal à quelques mètres de lui.

Des possibilites?.... Peyredragon arbora un regard questionnateur, tout en fronceant le regard, devenu sombre. Il fut complètement désarmé par les propos de la bête de jais, alors que ce dernier ne lui accorda pas plus d'attention, se remettant au travail. Le mince barrage de terre s'écrasea sous la patte du mâle, et l'eau du ruisseau vint adoucir les parroie de la crevasse recemment aménagée.... Des possibilités avec un cadavre ? Pensait toujours le tricolore... Une fois le travail du mâle achevé, il vint sortir Peyre des nuages...

-" Un bain, quelle curieuse idée. Peyredragon était, disons, un loup plutôt banal et classique... Et ce genres d'idées peu communes ne passaient pas vraiment par la tête du tricolore. Peut-être avait-il, avec le temps, perdu son cœur de louveteaux... Pour ne devenir qu'un adulte mélancolique, qui ne faisait que dormir, manger, et dormir... Peyre réfréna son air neutre et froid pour laisser se dessiner un mince sourire au coin de sa gueule.

-" Je dois avouer que par cette chaleur... Et de plus, je crois que vous en aviez bien besoin.. . Dit Peyredragon d'un air amusé, en pointant du museau le pelage terreux du mâle. Puis le mâle déclina son identité. Le tricolore en fit de même.

-" Enchanté, je suis Peyredragon. Et si je puis me permettre de demander... Pourquoi pas à même la rivière ou un ruisseau ? Car dans sa course, l'eau qui dévalait la petite tranché vers le trou fraîchement creusé par le second mâle amenait avec elle la terre et la poussière. Hors l'eau qui rempli ledit bain de la bête de jais devint sitôt trouble. Le tricolore s'asseya doucement, attendant quelques explication, d'un air intrigué.

Peyredragon l'écouta avec attention, tout comme a ses abitudes d'autrefois. Malgré la longue période de solitude qu'avait passé le tricolore depuis le déclin de sa famille, ce dernier était resté ce loup aimable, à l'écoute, juste et bon, bien que stricte, qu'il avait toujours été.

Le second mâle semblait sûr de lui et en total contrôle de ses dires, comme un texte répété en boucle une vingtaine de fois. De plus, il semblait avoir certaines hautes connaissances ; l'hydrocution, le premier mâle n'avait jamais entendu cette expression. Par ses élocutions stables et son physique, l'âge de se dernier devait probablement avoisiner la tranche de Peyredragon, mais la question fut jugée inutile et trop précoce par le tricolore, qui préféra se fier à son instinct plutôt que de demander. Mais lorsque ce dernier ajouta sa dernière phrase, Peyre ne pus s'empêcher plus longtemps de garder silence.

-" C'est ainsi que je fut éduqué, je ne peu en faire autrement." Avait-il dit à l'esquisse d'un sourire toujours amical et compréhensif au coin de sa gueule.

Son père, sa mère, les membres de sa meute... Peyre les avait tous vouvoyez, pour autant qu'ils etaient. Seul qui n'eut pas à vivre ces marques accrues de politesse et de respect fut son frère, Zéphyr. Ce dernier avait toujours eu le don de taper sur le système de Peyredragon, qui ne pouvait que l'endurer et l'aimer malgré tout... Ces camaraderies fraternelles prenaient souvent des tournures dramatiques et violantes, mais les représailles n'étaient guère de la partie.

-" Et bien... Mes pas ont toujours fait parti de ce territoire. J'en suis originaire, depuis un peu plus de cinq ans à présent." Ajouta Peyre, glissant ainsi son âge dans la conversation.

Seulement, Peyredragon avait aimé ladite éducation qu'il avait reçue, et ce n'était pas dans ses intentions, ni même futures, de se défaire de ses bonnes habitudes. Au point où si son destin avait été différent pour lui et sa meute, il aurait probablement continué à user du vouvoiement pour parler à ses subalternes... Les meutes, ce sujet devait bien finir par arriver, et il le redoutait... Mais Peyre ne se détournait pas des questions ni des tâches, même celles dont il ne voulait pas nécessairement avoir affaire. Il prit une grande respiration, et choisi ses mots en prenant soin d'éviter les détails..

-" Et bien... Pour ce qui est de cette région, la meute qui peuplait la presqu'île était vieillissante et sans héritiers, tout simplement. Sur les terres voisines, la meute avait perdue une génération entière, l'année suivante, je crois que plusieurs adultes ont périt, mais j'ignore pourquoi exactement.

Il espérait personnellement que les mystères entourant la meute des terres tempérées tente à Jadis de s'y attarder plutôt que sur l'ancienne meute de Peyredragon.

-" Pour ce qui est de la troisième meute principale, elle était située bien plus au nord, dans les montagnes, mais j'ignore tout à son sujet..."

Il résonna ses paroles sur un timbre de voix neutre et serein pour ne pas laisser transparaître son amertume par rapport aux terres boréales. Il se tenait pour responsables, son frère et lui, du déclin de sa famille. Un instant perdu dans cette pensée, il secoua légèrement la tête et envoya un fin sourire au loup.

-" Évidemment, il y avait, pour le peu que nous sommes sur ces terres, quelques petites meutes par ci et par là, mais le territoire est vaste... Dit-il calmement. "Et de quel endroit êtes-vous originaire, mon ami ?"